Épisodes

  • Si c'est un rêve…
    Oct 25 2025

    Merci ! Après dix-huit ans de présence sur cette antenne, cet édito est le dernier que vous proposez aux auditeurs de RFI. Alors, on va changer les habitudes. Plutôt que de vous poser la première question, je vous laisse ouvrir le bal…

    Dans la nuit du 26 au 27 octobre, ministres et dignitaires du régime se succèdent au Palais présidentiel, dans un incessant ballet de rutilantes berlines et de luxueux 4×4. Sur le visage des personnalités qui défilent se lit une certaine gravité, de la consternation, de l’inquiétude. On devine même, ici et là, une réelle angoisse. La capitale bruisse de folles rumeurs. La télévision nationale a positionné dans la cour du Palais son car-régie réservé aux grands événements. On attend une importante annonce présidentielle. Trois jours plus tôt, la proclamation annoncée des résultats avait été subitement reportée, à la demande, paraît-il, du chef de l’État, qui aurait exigé de son état-major la vérité des chiffres.

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    À l’heure du journal télévisé du soir, un bandeau annonce aux téléspectateurs « un important événement ». 21 heures 20, le générique du JT démarre, répétitif, trois fois plus long que d’habitude. C’est alors qu’apparaît, pimpante et impassible, la présentatrice vedette.

    Et que dit-elle donc ?

    « Mesdames et messieurs, bonsoir. Un message solennel du président de la République ». Le drapeau au-dessus du Palais flotte au vent tout au long des soixante-huit secondes que dure l’hymne national. Debout derrière un pupitre, le visage à la fois grave et détendu, le chef de l’Etat démarre posément :

    « Chers concitoyens, vous avez voté le 12 octobre dans le calme et la sérénité, et je vous en félicite. Au regard des résultats de ce scrutin, j’ai le plaisir et l’honneur historique de vous annoncer que vous avez choisi pour conduire la destinée de notre chère patrie… ». La plupart croient alors rêver en entendant le président prononcer le nom de son ancien ministre et challenger, qu’il félicite avant de lui souhaiter plein succès dans la conduite de la nation. Alors qu’il invite le peuple à s’unir derrière l’heureux élu, on entend, dans le lointain, des clameurs, portées en écho par les sept collines qui enserrent la capitale. Les foules se déversent presque aussitôt dans les rues. Dans toutes les villes du pays, c’est la même liesse débordante. Comme les soirs de grande victoire de l’équipe nationale de football…

    Rassurez-nous ! C’est bien de la fiction, l’événement que vous évoquez là, n’est-ce pas ? Et cette équipe nationale, ne serait-ce pas Les Lions Indomptables ?

    Quelle perspicacité ! Pour le pire, l’Afrique est désespérément prévisible. Mais elle peut aussi surprendre, pour le meilleur. Il nous est souvent arrivé de dire ici que l’Afrique est le continent du pire et du meilleur. Le pire est toujours régulier, ponctuel. Quant au meilleur, il surgit à l’improviste, au moment où on l’attend le moins. Sur les faits que nous relatons, les Camerounais seront fixés dans les quarante-huit heures, et nous avec. Si c’est un rêve, il est assumé. Et si la réalité venait à nous contredire, nos certitudes d’espérance vaudront circonstance atténuante. Car, même lorsque sombre toute joie, nous avons le devoir de continuer à croire en ce continent. L’argent, la ruse et l’imposture n’auront pas le dernier mot !

    Il suffit de si peu, pour que le Cameroun renoue avec une dynamique positive. Paul Biya a beaucoup à se faire pardonner. Ce sera fait, s’il parvenait à s’extirper du guet-apens tendu par son propre entourage. Peut-être même retrouverait-il alors un peu de cette popularité immense qui a marqué son arrivée au pouvoir, il y a plus de quatre décennies.

    C’est, ici, le moment de dire merci aux auditeurs. Pour leur écoute vigilante. Pour leurs critiques, leur bienveillance. Je viens de vous, je vais vers vous. D’une manière ou d’une autre, nous nous retrouverons, pour continuer à penser cette Afrique qu’aucun de nous ne peut, seul, porter sur ses épaules.

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  • Des dirigeants de meilleure qualité
    Oct 18 2025
    Pour ne pas risquer de se retrouver avec pire que ce que les peuples rejettent, des tamis de vigilance s’imposent désormais dans la sélection des candidats à la magistrature suprême. À Madagascar comme ailleurs. Acculé par une jeunesse malgache pleine de détermination, Andry Rajoelina a déserté le pays, et l’Assemblée nationale l’a destitué. L’armée a pris les commandes, et le colonel Randrianirina, devenu héros pour avoir exhorté ses camarades militaires à refuser de tirer sur leurs amis, frères et sœurs manifestants, a été investi par la Haute cour constitutionnelle. Ne faut-il pas s’en réjouir ? Il y a peu de monde pour pleurer ce président largement comptable du passif instable de Madagascar. Pour autant, la liesse saluant sa chute ne constitue en rien la garantie d’un avenir radieux pour les Malgaches, qui ont dû déchanter tant de fois par le passé ! Les espérances que suscite la fin d’un régime décrié demeurent un mirage, aussi longtemps que les peuples oublient de tirer les leçons de leurs déconvenues antérieures. On parle, ici, de refondation. Mais celle-ci n’est possible que si tous les acteurs se situent au même niveau de sincérité, avec le même degré d'exigence. Après plus de six décennies à trébucher, tomber, se relever pour trébucher à nouveau, tomber encore et se relever, peut-être est-il temps, pour les Malgaches, et pas seulement eux, de reprendre leur souffle, pour penser enfin une manière judicieuse d’avancer surement. À certains égards, l’admiration dont déborde l’Afrique pour la détermination victorieuse de la jeunesse malgache rappelle celle des Burkinabè qui, en octobre 2014, ont chassé du pouvoir Blaise Compaoré. Celui-ci, après vingt-sept ans d’un règne sans partage, se croyait indétrônable. Un héliport de fortune dans les faubourgs de la capitale ; une exfiltration par un avion militaire français ; et tout était terminé. Comme Compaoré, Rajoelina a eu la désertion buissonnière. Par le chemin des écoliers ! Seize ans après, ce qu’est devenu le Burkina invite les Malgaches à une impérieuse vigilance, à plus d’exigence. En quoi consisteraient donc cette vigilance et ces exigences ? Aussi enivrantes qu’elles soient, ces phases de grande effervescence n’ont d’intérêt que par rapport aux leçons qu’en tirent les peuples. Ceux qui se retrouvent au pouvoir ont rarement le même agenda que les révolutionnaires qui ont risqué leur vie pour faire tomber le régime rejeté. Pour prendre le pouvoir, politiciens, militaires et autres troisièmes larrons rivalisent de stratagèmes qui, tôt ou tard, ramènent les populations à leurs frustrations de départ. La Refondation annoncée n’a de chance d’aboutir que si les maîtres de la transition demeurent sous pression, contraints d’agir vite, dans le sens de l’intérêt général. Sans quoi, dans quelques semaines, ils auront pris goût au pouvoir et tourné le dos à l’idéal révolutionnaire. En Afrique, les peuples qui font une confiance aveugle à des militaires prompts à leur promettre le paradis sans aucun chronogramme s’exposent aux pires désillusions. Quant au programme de la refondation, il est contenu dans les exigences déclamées durant les manifestations. Il s’agit, à présent, de les coucher sur papier, d’indiquer quand, comment et avec quels moyens les traduire en actes, sans cacher aux citoyens les efforts que cela implique de leur part. À lire aussiMadagascar: le mouvement Génération Z à l’origine de la contestation détaille ses revendications Tout cela ne suppose-t-il pas le retour à l’ordre constitutionnel, avec un chef d’État élu ? Bien évidemment ! Au peuple de ne pas se tromper sur le profil des candidats à la magistrature suprême. Les Malgaches pouvaient-ils espérer d’Andry Rajoelina autre chose que l’impasse dans laquelle il les a conduits ? Tout, dans son profil, aurait dû les mettre en garde. Diriger une nation africaine n’est pas un job pour des jouisseurs superficiels, pour qui tout se rapporte à ce qu’on appelle de manière triviale "la tchatche". Interrogées séparément sur les qualités que devrait avoir le président idéal pour leur pays, des femmes d’affaires ouest-africaines confiaient naguère ceci : « D’abord, ce doit être quelqu’un qui mange à sa faim chez lui. Parce que, disaient-elles, nous ne voulons pas d’un président qui vienne résoudre ses problèmes de carrière, et même de survie, aux dépens du peuple ». Un pays sous-développé ne peut s’offrir à un dirigeant qui ne peut justifier d’un parcours professionnel clair et convaincant. Qui n’a jamais eu sous sa responsabilité plus de dix collaborateurs, en entreprise ou dans l’administration. Pour ne pas risquer de se retrouver avec pire que ce que les peuples rejettent, des tamis de vigilance s’imposent désormais. À Madagascar comme ailleurs… À lire aussiÀ...
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  • Du bon usage électoral
    Oct 11 2025
    Tous les chefs d'État ne se valent pas, en Afrique. Les conditions de son élection et les moyens dont chacun use pour accéder à la magistrature suprême déterminent la perception que son peuple (et l'opinion continentale) a de sa personne. Et ce peut être important pour « sa » gestion des affaires… Cameroun, Côte d’Ivoire, Tanzanie… Sur le continent africain, trois présidentielles se tiennent en ce mois d’octobre, en plus de toutes celles déjà organisées cette année, et des autres, prévues d’ici à fin décembre. Pourquoi l’élection présidentielle, pourtant ancrée dans les traditions, continue-t-elle de générer autant de tensions en Afrique ? Dans bien des pays, le pouvoir est concentré entre les mains du seul chef de l’État. Qui peut faire la fortune de qui lui plaît ; causer la ruine de qui il veut ; et même entraver la liberté de qui le gêne. D’où le sentiment qu’à la présidentielle se joue le sort personnel de chaque citoyen pour la durée du mandat. La manière dont se conquiert la magistrature suprême est loin d’être anodine. Dans les nations crédibles, les scrutins libres et transparents sont l’unique mode d’accession au pouvoir. L’Afrique, elle, se distingue encore souvent de manière peu glorieuse, avec les coups d’État, les réélections douteuses, qui jettent le discrédit sur la fonction présidentielle. Ce continent revêt des réalités multiples. Mais, par facilité, certains usent de formules expéditives pour qualifier l'Afrique, en se référant, en plus, aux tares des États les moins présentables. Ainsi, les mauvaises manières de quelques-uns en viennent à définir l’image de tous. Et ce n’est pas sans conséquences : l’an dernier, le président William Ruto, s’étonnant de voir augmenter les taux appliqués aux emprunts de son pays, le Kenya, découvrait, abasourdi, que les agences de notation avaient intégré au risque-Kenya le coup d’État survenu au Niger. Ignoraient-ils que 5642 kilomètres séparent ces deux pays ? Ramener l’ensemble du continent au niveau des cancres relève de la paresse intellectuelle. L’Afrique compte de véritables États démocratiques, performants sur le plan économique, qui ont peu à envier aux autres. La médiocrité n’est pas une fatalité, en Afrique. Mais, pour éviter ces amalgames, les Africains eux-mêmes devraient savoir être, dans la quête de l’excellence, ambassadeurs, les uns pour les autres. Il y a une trentaine d’années, le Sénégalais Kéba Mbaye, juge à la Cour internationale de justice de la Haye et vice-président du Comité international olympique avait initié l’harmonisation du droit des affaires en Afrique. Depuis, l’Ohada existe, qui rassure les milieux économiques et simplifie les échanges confiants entre États africains et avec l’extérieur. C’est du panafricanisme palpable, concret. Puisque les élections douteuses nuisent, y compris aux économies, et bien au-delà des pays qui s’y complaisent, pourquoi ne pas harmoniser, avec la même rigueur, les pratiques électorales ? Sur ce continent, tous les chefs d’État ne se valent pas. Les moyens par lesquels certains se hissent au pouvoir ou s’y maintiennent sont d’une troublante disparité, sans légitimité, sans respectabilité. Et les peuples ne sont pas toujours très fiers de ceux qui sont censés les diriger. Les élections ne relèvent-elles pas de la souveraineté des États ? Étant donné que tous arborent le pavillon « Afrique », chacun devrait se sentir responsable pour les autres. Et cela commence par les comportements électoraux, qui ont une incidence sur vos voisins. Cap Vert, Botswana, Ghana, Nigeria, Bénin et d’autres pays africains ont des usages suffisamment crédibles pour inspirer l’ensemble du continent. Au Sénégal, depuis un quart de siècle, en période d’élection, les plus sérieuses stations de radio et chaînes de télévision agissent en acteurs civiques. Les résultats parcellaires que relaient au fur et à mesure ces médias situent le citoyen qui peut, deux heures après la clôture du vote, esquisser par lui-même les grandes tendances. C’est exactement ce que font les Américains. Et c’est plus honorable que de maintenir la population dans le brouillard, en attendant qu’un ministre servile ou une commission électorale aux ordres vienne, au cœur de la nuit, asséner des résultats manufacturés, sans aucune traçabilité. Pour mieux museler leurs concitoyens, certains régimes tricheurs vont jusqu’à couper les liaisons téléphoniques et internet. Curieusement, ce sont ceux-là qui se revendiquent, urbi et orbi, comme État démocratique. Mais tout cela, sans la transparence, n’est juste qu'une imposture de plus.
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  • Toujours plus décevants !
    Oct 4 2025
    Ils gouvernent tous de la même manière, enchaînent plus ou moins les mêmes travers, et finissent, presque tous, poussés vers la sortie par la rue. Peut-être est-il temps, pour les Malgaches comme pour quelques autres peuples africains, de se montrer plus exigeants dans le choix de leurs dirigeants… À Madagascar, Andry Rajoelina a eu beau congédier son gouvernement, cela ne semble pas suffire à calmer une opinion, qui appelle de plus en plus à sa démission. Outre la paupérisation généralisée, le mouvement « Gen Z », la jeunesse en révolte, lui reproche les centaines de blessés et la vingtaine de manifestants tués durant la répression brutale. Mais que dire des accusations lancées par le président, sur une gigantesque cyberattaque orchestrée depuis l’étranger, et qui viserait à le renverser, avec la complicité de politiciens malgaches ? Dans leur exaspération face à l’incurie de certains de leurs dirigeants, il arrive de plus en plus souvent aux populations d’exiger, en effet, la démission d’un chef d’Etat qu’ils jugent responsable de leurs malheurs, sans que cela résulte nécessairement d’une vaste conspiration ourdie de l’étranger. Que ses adversaires politiques profitent du mécontentement général est d’une évidence qui ne devrait point surprendre Andry Rajoelina, au regard du chemin tortueux qui l’a mené, lui-même, au pouvoir. Après tout, si son pays a une telle expertise en matière d’interruption brutale des mandats présidentiels en cours à partir de la rue, c’est en partie grâce à lui. À lire aussiMadagascar: le mouvement Gen Z se dote de huit porte-parole De tous les peuples africains qui ont renoué avec la démocratie formelle au tournant des années quatre-vingt-dix, les Malgaches ont été, en 1996, les premiers, en Afrique, à destituer, par une procédure régulière d’impeachment, un chef d’Etat en fonction, le professeur Albert Zafy. Beaucoup prédisaient alors à cette démocratie une trajectoire exemplaire. C’était sans compter sur les politiciens pressés, tel Andry Rajoelina, habiles à instrumentaliser la rue, pour s'en faire une courte-échelle vers le pouvoir. La dureté de la vie, comme les coupures d’eau et d’électricité dont se plaignent ces jeunes ne sont-elles pas le lot de très nombreux Africains ? À des degrés divers, oui. Mais, en écoutant leurs griefs, on se demande quels travers de ses infortunés prédécesseurs Rajoelina n’a pas reproduits. Mais il est dans le déni, et sa prestation télévisée de ce jeudi trahit juste une cécité et une surdité propres à conforter ceux qui l’accusent de gouverner moins pour son peuple que pour lui-même et une oligarchie aux réflexes de bourgeoisie comprador. De tout temps, ce type de régime a fini mal. Il faut juste espérer que cela n’entraine pas encore plus de violence, encore plus de blessés, et toujours des morts. À lire aussi«Rajoelina n'a pas compris le message»: à Madagascar, l'opposition se range derrière la Gen Z Il vient un temps où tout peuple enchaînant à un tel rythme des dirigeants aussi décevants a le devoir, impérieux, de redéfinir les critères de sélection de ceux à qui il confie son destin. Cela est valable pour les Malgaches, valable aussi pour tous les Africains. À ce point ? Pourquoi se voiler la face ? Au regard de la facilité avec laquelle on peut prétendre à la magistrature suprême dans de nombreux Etats, la moitié, au moins, des pays africains peut aisément échouer, demain, entre les griffes de dirigeants douteux, voire dangereux. Dès lors qu’ils peuvent disposer d’importants moyens financiers, margoulins et autres faussaires peuvent, à coups de messages sur-mesure et de promesses intenables, abuser de la crédulité de populations déjà à bout de souffle. Face à eux, la poignée d’hommes politiques sérieux qu’il reste a peu de chance, surtout s’il tente de persuader les populations de la nécessité de travailler dur, pour construire un destin national viable. Dans les véritables démocraties, à l’approche des grandes échéances, les journalistes questionnent le parcours des prétendants. Certes, quelques imposteurs parviennent à se faufiler entre les mailles du filet. Mais la plupart sont démasqués et doivent jeter l’éponge, avant qu’il ne soit trop tard. En 2017, en France, François Fillon avait dû sortir du jeu, pour un péché qui, dans bien des pays africains, aurait paru véniel. Dans une démocratie solide, en dehors du discrédit, les incidences de l’accession au pouvoir de dirigeants douteux sont atténuées par la solidité des institutions. Dans une Afrique fragile, de telles erreurs sont un passif, dont l'apurement, parfois, peut condamner toute une nation à végéter longtemps.
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  • L'Afrique, entre Israël et Palestine: migration des solidarités
    Sep 27 2025
    Quelques grandes capitales occidentales viennent d’annoncer la reconnaissance de l’État palestinien, adoubé, depuis 1988, par la quasi-totalité des pays africains. Mais, lorsque à la tribune des Nations unies, des dirigeants africains ont fait, cette semaine, un vibrant plaidoyer pour le peuple palestinien, certains se sont dits que l’Afrique, majoritairement, est hostile à Israël. La plupart des peuples africains ont, avec les Israéliens, des liens qui remontent à l’aube des indépendances. Cela n’interdit pas la compassion pour les Palestiniens, au regard du déferlement de violence qu’ils subissent. Et c’est à dessein que, citant le Dr Kwame Nkrumah, père de l’indépendance ghanéenne, John Dramani Mahama, son lointain successeur, a déclaré : « Nous voulons être l’ami de tout le monde, l’ennemi de personne ». En mars 1957, Kwame Nkrumah avait justement invité la cheffe de la diplomatie israélienne Golda Meir, pour l’indépendance du Ghana. C’est là qu’ont été posées les fondations de la coopération entre l’Afrique et l’État hébreu, sans doute une des plus fructueuses entre les Africains et quelques autres peuples. Cela n’exclut pas, par moments, quelques réflexions excessives ou hostiles au gouvernement israélien. Mais les Africains qui ont de la mémoire savent distinguer ce peuple dont beaucoup étaient proches, durant les 15 premières années des indépendances, de ses dirigeants du moment. Golda Meir suscitait, sur le continent, une réelle ferveur : « Nous partageons avec les Africains non seulement les défis qui vont avec la nécessité d'un développement rapide, mais aussi le souvenir de siècles de souffrances : oppression, discrimination, esclavage. Pour les Africains, comme pour les Juifs, ce ne sont pas de simples clichés, liés à de lointaines expériences vécues par des ancêtres oubliés ; ils sont en rapport avec des tourments et des humiliations qui ne datent que d'hier », disait-elle. À lire aussiFrance: le président Emmanuel Macron reconnaît l'État de Palestine à l'ONU S'inspirer de l'écrivain hongrois Theodor Herzl Elle semblait s'inspirer de Theodor Herzl, journaliste et écrivain austro-hongrois. Ce dernier écrivait que la question africaine était d’une tragédie profonde, qui ne pouvait être appréhendée que par un juif. Il évoquait ces êtres humains qui, uniquement parce qu'ils étaient noirs, étaient volés comme du bétail, capturés, faits prisonniers, vendus. Leurs enfants grandissaient en terre étrangère, objets de mépris et d'hostilité, à cause de la couleur de leur peau. Theodor Herzl disait espérer, dès lors qu’il aura assisté à la rédemption des juifs, voir aussi celle des africains. Il est mort en 1904. Mais son roman, « Altneuland », était le bréviaire de Golda Meir. L'ancienne ministre des Affaires étrangères, devenue également Première ministre, a déployé, dans toute l'Afrique, entre 1958 et 1973, des milliers d'experts israéliens en agriculture, en hydrologie, en santé publique, et divers autres domaines. Ces experts, parfois très jeunes, vivaient avec les populations, dans une simplicité inimaginable chez le colonisateur ou le coopérant occidental. Des milliers d’Africains étaient aussi formés en Israël, et rapportaient chez eux un peu de cette technicité grâce à laquelle, sur une terre austère, les Israéliens avaient su créer de la prospérité. Golda Meir se disait particulièrement fière de ce programme de coopération. Mais a avoué son amertume, lorsqu’en 1973, les États africains, collectivement, ont rompu les relations avec Israël. « Pour bénéficier à nouveau de notre amitié, ils devront vraiment la mériter », avait-elle prévenu. À lire aussiLa Palestine, un État déjà reconnu par 52 des 54 pays du continent africain Une interruption brutale en 1973 Tout cela s'interrompt brutalement en 1973 par solidarité avec l’Égypte, pays africain, dont une partie du territoire était occupée par Israël. Mais, même après la réconciliation israélo-égyptienne à Camp David, en septembre 1978, certains États africains ont continué à boycotter Israël. Dans leur rancœur, la cause palestinienne a pris le relais de la solidarité avec l’Égypte. Et lorsque, finalement, la plupart renouent avec Israël, ils ne demandent pas ces technologies, qui permettent d’aller chercher, 800m sous terre, dans le désert du Néguev, de l’eau, saumâtre, d’en utiliser la chaleur pour chauffer les serres durant les nuits froides, pour ensuite l’utiliser pour élever des poissons d’eau de mer puis, tout au bout de la chaîne, arroser les fruits et légumes. Non, la plupart préfèrent payer cher pour avoir une protection israélienne infaillible. Mais uniquement pour le chef de l’État et quelques surveillances téléphoniques. À chacun son sens des priorités.
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  • Et vive l'inconséquence des opposants!
    Sep 20 2025
    Dans nombre de pays africains, les dirigeants et régimes décriés doivent leur pérennité autant aux inconséquences de leurs oppositions qu'au soutien aveugle et zélé de leurs partisans. Il était annoncé comme une simple révision technique, mais le projet adopté, cette semaine, par l’Assemblée nationale, au Tchad, est important. Il porte sur la durée et le nombre de mandats que peut briguer le président de la République. Pourquoi cette révision constitutionnelle génère-t-elle autant de controverse ? Sans doute parce que les Tchadiens, entre les intentions proclamées et la réalité qu’ils vont devoir subir, craignent, encore une fois, un traquenard. Les dispositions adoptées par 171 des 188 députés rallongent de deux ans le mandat conquis il y a tout juste seize mois par Mahamat Idriss Déby. Et il pourra, ensuite, en briguer autant qu’il voudra. La seule voix contre était celle d’un député de l’opposition, resté dans la salle, alors que ses autres collègues en étaient sortis, après qu’un élu de la majorité ait proposé, sous prétexte d’économies, la présidence à vie pour le président, dont le pouvoir serait d’émanation divine. Que des élus de la République en viennent à vouloir sécuriser ad vitam aeternam le pouvoir d’un président qui n’a encore opéré aucun miracle dans ses fonctions est d’une désespérante niaiserie. Ils auraient pu inscrire toutes ces dispositions dans la Constitution adoptée en décembre 2023. Mais, peut-être auraient-elles paru trop indécentes, avant les élections. Il est toujours plus facile de laisser tomber les masques, quand on est déjà installé au pouvoir, et que les électeurs ne peuvent plus fuir. C’est en cela que résident les soupçons de supercherie. D’où viendraient donc ces supercheries ? À la mort d’Idriss Déby Itno, en avril 2021, on avait fait croire que le Tchad, trop vulnérable, risquait d’être livré aux rebelles, si la succession s’opérait dans le respect de l’ordre constitutionnel. C’était la justification, pour installer son fils Mahamat, militaire, dans le fauteuil présidentiel, alors qu’il n’avait même pas l’âge requis pour assumer de telles fonctions. Les parrains assuraient alors que cela ne durerait que le temps d’une brève transition. La suite, cinglante et sanglante, est encore gravée dans toutes les mémoires. Quatre ans plus tard, alors que le premier mandat de cet héritier court encore, des aménagements constitutionnels sont pris, pour s’assurer que sa présidence s’éternise. Et ses concitoyens, naturellement, suspectent une nouvelle supercherie…. Il n’empêche. Indexer les seuls tyrans, despotes et autres dirigeants plus ou moins autoritaires revient à exonérer leurs partisans, leur entourage, comptables, au Tchad comme ailleurs, des retards qu’accusent les nations. Tout comme, d’ailleurs, les opposants qui, par leurs actes et inconséquences, concourent grandement à la pérennité de régimes et dirigeants décriés, comme nous le rappelle sans cesse l’actualité. En quoi les opposants sont-ils comptables de la pérennité de régimes qu’ils combattent ? De manière consciente ou pas, ces opposants posent des actes qui engagent leur responsabilité. Ces derniers temps, au Cameroun, les opposants, historiques ou de fraîche date, tentent de persuader l’opinion de la nécessité d’en finir avec le régime de Paul Biya. Mais, en même temps, tous déclinent l’invitation à présenter une candidature unique face au président sortant. Dans ce scrutin qui se joue à la proportionnelle à un tour, onze candidats, dont aucun n’imagine devoir sacrifier sa petite personne pour faire gagner l’opposition. C’est la défaite garantie, le 12 octobre prochain, face à Paul Biya qui, si les dieux du Dja-et-Lobo lui prêtent vie, sera centenaire, au terme du prochain mandat. Ces opposants sont donc comptables, comme les recalés qui, en Côte d’Ivoire, préfèrent laisser un boulevard au président qu’ils accusent de tous les maux, plutôt que de soutenir tel ex-allié, tel frère-ennemi ou telle âme, jadis sœur… Entre le zèle imbécile des partisans et l’inconséquence des opposants, plus vindicatifs à l’égard d’autres opposants que vis-à-vis de celui qu’ils désignent comme leur principal adversaire, les dirigeants cramponnés au pouvoir et à ses privilèges savent qu’ils ont de beaux jours devant eux. Et ils en jouent. Avec une cynique délectation.
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  • Silence aux pauvres
    Sep 13 2025
    Là où les politiques se servent des leviers du pouvoir pour affamer leurs adversaires et même la presse, la démocratie n'a aucun avenir. Cela est valable pour le Sénégal, comme pour tous les autres pays du continent. Privés de la manne publicitaire des agences gouvernementales et sociétés d’État, nombre de médias du Sénégal risquent l’asphyxie. Ces contrats représentaient jusqu’à 70% des recettes de certains de ces organes, qui accusent le Pastef, au pouvoir, de vouloir leur mort. Exagèrent-ils ? Avec une telle dépendance, ces médias survivraient difficilement à la suppression de tels budgets publicitaires. Depuis des mois déjà, ils dénonçaient des mesures de rétorsions. Lors d’un meeting, en juillet dernier, le Premier ministre Ousmane Sonko s’en est pris, nommément, au Groupe Futurs Médias, de Youssou N’Dour, en se promettant de le combattre jusqu’au bout. Certes, sous Macky Sall, le Pastef avait connu brimades et persécutions, et certains médias ont pu se ranger du côté du pouvoir pour les accabler. Mais, les nouveaux maîtres du Sénégal auraient pu, dans la victoire, se montrer grands seigneurs, en pardonnant ou, au moins, en feignant l’oubli. Dans un environnement aussi paupérisé, certains journalistes réputés solides auraient probablement retourné leur boubou, et ç’aurait été, pour ces jeunes dirigeants, une victoire bien plus élégante que des représailles de masse, qui emporteront fatalement quelques médias crédibles, parmi les meilleurs du Sénégal. Asservir la presse avec des contrats émanant d’entreprises appartenant à tous est-il si différent de l’usage partisan du bien public que Ousmane Sonko reprochait à Macky Sall ? Nul ne peut prévoir les dérives de l'insuffisance de recettes publicitaires : au début du siècle dernier, la presse française, en contrepartie d’une énorme manne publicitaire, avait choisi de taire les faiblesses politiques et économiques de l'empire tsariste, pour favoriser les emprunts russes, au détriment des épargnants de la place de Paris. L’historien Pierre Albert conclura à une abominable vénalité de cette presse. N'est-ce pas naturel qu’un pouvoir politique désire une presse avenante ? À quel prix ? Depuis leur accession au pouvoir, quelque 400 médias ont vu leur autorisation de publication ou de diffusion remise en cause, pendant que surgit une génération spontanée d’organes nouveaux, à la gloire du Pastef. Au Sénégal, cela porte un nom : le clientélisme ! Florissant, de Senghor à Sall, en passant par Diouf, Wade... Et si le duo Faye-Sonko le perpétue, la démocratie sénégalaise continuera à ne pouvoir séduire qu’à l’occasion des alternances. La vocation d’une presse crédible n’est pas de servir les régimes qui passent, mais l’intérêt général, la nation. Cette évidence, les dirigeants d’envergure savent l’admettre. Tel le général de Gaulle, qui a voulu, en 1944, un journal de référence, en France, pour en finir avec les titres complices de l’avilissement de la nation. Conscient du tort qu’une presse sans scrupules peut causer à un peuple, il a confié à Hubert Beuve-Méry, journaliste compétent et crédible, la charge et les moyens de créer un grand quotidien de salubrité publique. Durant toutes les années passées par le général au pouvoir, Le Monde l’a constamment critiqué. De Gaulle s’en agaçait, mais supportait, parce que ce journal, il l’avait voulu pour le bien du pays, et pas pour lui. Tout le monde n’est évidemment pas de Gaulle. Mais tout bon leader devrait comprendre l’utilité d’une presse sérieuse pour la grandeur d’une nation. Les médias médiocres ou complaisants ne séduisent que les dirigeants de peu d’envergure… Encore faut-il que les journalistes eux-mêmes veillent sur leur crédibilité… À eux de se prémunir contre les politiciens rétifs à la critique, en faisant le ménage dans leurs rangs. Plus de 400 organes rayés de la liste, au Sénégal, et les effectifs demeurent effrayants ! Chaque mosquée doit-elle avoir son journal, chaque minaret sa radio, sa télévision ? Là où les journalistes ne prennent pas les devants pour assainir leur corporation, les politiques finissent par leur imposer d’inquiétants agendas. Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire, le politique, sous toutes les latitudes, a toujours usé de leviers financiers pour dompter les journalistes, asphyxier financièrement les journaux récalcitrants. C’est en réaction au cautionnement que le théologien français Lamenais, en août 1848, lança dans l’ultime numéro de son journal, « Le Peuple constituant », ce cri mémorable : « Il faut de l'or, beaucoup d'or pour jouir du droit de parler. Nous ne sommes pas riches. Silence aux pauvres ! ».
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    5 min
  • Ce Bénin qui n'en finit pas d'étonner
    Sep 6 2025
    Au Cameroun, Paul Biya, 92 ans, s’apprête à rempiler pour un huitième mandat, le mois prochain, tandis qu’en Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, 83 ans, en briguera un quatrième. La vedette du moment est pourtant le Béninois Patrice Talon, qui vient de désigner son dauphin, confirmant son départ du pouvoir en avril prochain. L’admiration qu’il suscite est-elle justifiée ? Dresser des colonnes d’apothéoses à la gloire d’un chef d’État, simplement parce qu’il se conforme à une limitation de mandats prescrite par la Constitution de son pays, relève d’une certaine facilité intellectuelle. Si ne pas contourner une règle ou un interdit suscite autant d’effusions, c’est parce que la propension des dirigeants africains à rudoyer la loi fondamentale est telle que beaucoup sont émerveillés, lorsque certains s’abstiennent de tricher. En Afrique, les resquilleurs prospèrent surtout dans le microcosme francophone. Anglophones et lusophones sont d’ordinaire plus respectueux des textes. En Afrique de l’Ouest, en dehors de la Gambie, revenue depuis peu à la démocratie après deux décennies de despotisme, aucun chef d’Etat anglophone n’a effectué plus de deux mandats, depuis 1992, au Ghana ; 1996, en Sierra Leone ; 1999, au Nigeria ; et 2006, au Liberia. Au Cap-Vert, Aristides Pereira est le dernier à avoir assumé trois mandats, en 1991. Même la Guinée-Bissau, avec ses travers, s’efforce de respecter cette limitation. Par contre, sur huit pays francophones, seul le Bénin s’est régulièrement conformé, depuis 1991, à cette règle. Partout ailleurs, la Constitution a subi de malicieuses révisions. Au Sénégal, Abdoulaye Wade a ainsi pu briguer, en 2012, un troisième mandat, que les électeurs lui ont refusé. À lire aussiBénin: le principal parti d'opposition sécurise les parrainages pour son candidat à la présidentielle Le Bénin, l’unique bon élève francophone ? L’opinion et les quatre dirigeants de l’ère démocratique, au Bénin, ont su préférer leur patrie au piège du troisième mandat. Battu, en 1996, après son premier mandat, Nicéphore Soglo a cédé le pouvoir à Mathieu Kérékou, qui n’a pas plus succombé à la tentation, en 2006, que Thomas Boni Yayi, en 2016. Pour ce pays, qui passait jadis pour le champion continental des coups d’État, ce sursaut est salutaire. Cette constance a conforté la crédibilité du Bénin et facilité les remarquables progrès économiques relevés ces dix dernières années. Avec un peu de sérieux et de rigueur, la stabilité démocratique finit toujours par favoriser le développement économique. La fulgurante ascension de Romuald Wadagni inconnu au Bénin il y a dix ans Peu après son élection, Patrice Talon en avait agacé plus d’un, en déclarant que son pays manquait de cadres compétents. Dans l’absolu, il n’avait pas tort. Et il a dû embaucher, déployer des moyens, pour attirer les compétences, notamment de la diaspora. Il a su détecter, former, motiver et promouvoir, sans ostracisme, y compris dans des secteurs de pointe. Y compris pour prendre le gouvernail de la nation. Et ce dauphin, rallié seulement six mois avant son élection, est un pur produit de la boulimie de compétences de ce président-capitaine d’industrie. Le choix de Romuald Wadagni devrait faire réfléchir tous ceux qui, à Yaoundé, ne cessent de clamer que seul leur champion de 92 ans a l’envergure pour diriger le Cameroun. Cela vaut aussi matière à réflexion pour ceux qui, jusqu’à ces dernières semaines, suppliaient Alassane Ouattara de rempiler pour un quatrième mandat, parce que nul d’autre que lui ne pouvait bien diriger la Côte d’Ivoire. De telles obséquiosités peuvent certes les conforter dans les bonnes grâces d’un chef d’État. Mais, l’apologie de la présidence à vie finit toujours par jeter le discrédit sur la compétence même d'un entourage présidentiel. Si Patrice Talon a pu, en moins de dix ans, détecter et promouvoir des éléments capables de lui succéder, pourquoi donc, après 15 années aux côtés d’Alassane Ouattara, ou 43 dans l’ombre de Paul Biya, les maîtres de la flagornerie s’avouent-ils inaptes à prendre la relève ? Même du temps de la présidence à vie, certains dirigeants visionnaires savaient passer le relais : Senghor, Ahidjo, Nyerere… et Mandela lui-même, à qui l’ANC et l’Afrique du Sud auraient péniblement survécu, s’il avait attendu de mourir au pouvoir.
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