Épisodes

  • Luisant Soleil, que tu es bienheureux (Louise Labé)
    Mar 25 2025

    Luisant Soleil, que tu es bienheureux
    De voir toujours de t'Amie la face !
    Et toi, sa sœur, qu'Endymion embrasse,
    Tant te repais de miel amoureux !
    Mars voit Vénus ; Mercure aventureux
    De Ciel en Ciel, de lieu en lieu se glace ;
    Et Jupiter remarque en mainte place
    Ses premiers ans plus gais et chaleureux.
    Voilà du Ciel la puissante harmonie,
    Qui les esprits divins ensemble lie ;
    Mais, s'ils avaient ce qu'ils aiment lointain,
    Leur harmonie et ordre irrévocable
    Se tournerait en erreur variable,
    Et comme moi travailleraient en vain.

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  • J'arrive où je suis étranger (Louis Aragon)
    Mar 18 2025

    Rien n'est précaire comme vivre

    Rien comme être n'est passager

    C'est un peu fondre comme le givre

    Et pour le vent être léger

    J'arrive où je suis étranger


    Un jour tu passes la frontière

    D'où viens-tu mais où vas-tu donc

    Demain qu'importe et qu'importe hier

    Le coeur change avec le chardon

    Tout est sans rime ni pardon


    Passe ton doigt là sur ta tempe

    Touche l'enfance de tes yeux

    Mieux vaut laisser basses les lampes

    La nuit plus longtemps nous va mieux

    C'est le grand jour qui se fait vieux


    Les arbres sont beaux en automne

    Mais l'enfant qu'est-il devenu

    Je me regarde et je m'étonne

    De ce voyageur inconnu

    De son visage et ses pieds nus


    Peu à peu tu te fais silence

    Mais pas assez vite pourtant

    Pour ne sentir ta dissemblance

    Et sur le toi-même d'antan

    Tomber la poussière du temps


    C'est long vieillir au bout du compte

    Le sable en fuit entre nos doigts

    C'est comme une eau froide qui monte

    C'est comme une honte qui croît

    Un cuir à crier qu'on corroie


    C'est long d'être un homme une chose

    C'est long de renoncer à tout

    Et sens-tu les métamorphoses

    Qui se font au-dedans de nous

    Lentement plier nos genoux


    Ô mer amère ô mer profonde

    Quelle est l'heure de tes marées

    Combien faut-il d'années-secondes

    À l'homme pour l'homme abjurer

    Pourquoi pourquoi ces simagrées


    Rien n'est précaire comme vivre

    Rien comme être n'est passager

    C'est un peu fondre comme le givre

    Et pour le vent être léger

    J'arrive où je suis étranger.

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  • Je fuis la ville, et temples, et tous lieux (Louise Labé)
    Mar 14 2025

    Je fuis la ville, et temples, et tous lieux
    Esquels, prenant plaisir à t'ouïr plaindre,
    Tu pus, et non sans force, me contraindre
    De te donner ce qu'estimais le mieux.
    Masques, tournois, jeux me sont ennuyeux,
    Et rien sans toi de beau ne me puis peindre ;
    Tant que, tâchant à ce désir éteindre,
    Et un nouvel objet faire à mes yeux,
    Et des pensers amoureux me distraire,
    Des bois épais suis le plus solitaire.
    Mais j'aperçois, ayant erré maint tour,
    Que si je veux de toi être délivre,
    Il me convient hors de moi-même vivre ;
    Ou fais encor que loin sois en séjour.

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  • Ne reprenez, Dames, si j'ai aimé (Louise Labé)
    Feb 25 2025

    Ne reprenez, Dames, si j'ai aimé,
    Si j'ai senti mille torches ardentes,
    Mille travaux, mille douleurs mordantes,
    Si en pleurant j'ai mon temps consumé,


    Las ! que mon nom n'en soit par vous blâmé.
    Si j'ai failli, les peines sont présentes.
    N'aigrissez point leurs pointes violentes ;
    Mais estimez qu'Amour, à point nommé,


    Sans votre ardeur d'un Vulcan excuser,
    Sans la beauté d'Adonis accuser,
    Pourra, s'il veut, plus vous rendre amoureuses


    En ayant moins que moi d'occasion,
    Et plus d'étrange et forte passion.
    Et gardez-vous d'être plus malheureuses.

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  • Las ! que me sert que si parfaitement (Louise Labé)
    Feb 25 2025

    Las ! que me sert que si parfaitement
    Louas jadis et ma tresse dorée,
    Et de mes yeux la beauté comparée
    A deux Soleils, dont Amour finement


    Tira les traits causes de ton tourment ?
    Où êtes-vous, pleurs de peu de durée ?
    Et mort par qui devait être honorée
    Ta ferme amour et itéré serment ?


    Doncques c'était le but de ta malice
    De m'asservir sous ombre de service ?
    Pardonne-moi, Ami, à cette fois,


    Etant outrée et de dépit et d'ire ;
    Mais je m'assur', quelque part que tu sois,
    Qu'autant que moi tu souffres de martyre.

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  • Que la vie en vaut la peine (Louis Aragon)
    Feb 21 2025

    C'est une chose étrange à la fin que le monde
    Un jour je m'en irai sans en avoir tout dit
    Ces moments de bonheur ces midis d'incendie
    La nuit immense et noire aux déchirures blondes.
    Rien n'est si précieux peut-être qu'on le croit
    D'autres viennent. Ils ont le cœur que j'ai moi-même
    Ils savent toucher l'herbe et dire je vous aime
    Et rêver dans le soir où s'éteignent des voix.
    D'autres qui referont comme moi le voyage
    D'autres qui souriront d'un enfant rencontré
    Qui se retourneront pour leur nom murmuré
    D'autres qui lèveront les yeux vers les nuages.
    II y aura toujours un couple frémissant
    Pour qui ce matin-là sera l'aube première
    II y aura toujours l'eau le vent la lumière
    Rien ne passe après tout si ce n'est le passant.
    C'est une chose au fond, que je ne puis comprendre
    Cette peur de mourir que les gens ont en eux
    Comme si ce n'était pas assez merveilleux
    Que le ciel un moment nous ait paru si tendre.
    Oui je sais cela peut sembler court un moment
    Nous sommes ainsi faits que la joie et la peine
    Fuient comme un vin menteur de la coupe trop pleine
    Et la mer à nos soifs n'est qu'un commencement.
    Mais pourtant malgré tout malgré les temps farouches
    Le sac lourd à l'échine et le cœur dévasté
    Cet impossible choix d'être et d'avoir été
    Et la douleur qui laisse une ride à la bouche.
    Malgré la guerre et l'injustice et l'insomnie
    Où l'on porte rongeant votre cœur ce renard
    L'amertume et Dieu sait si je l'ai pour ma part
    Porté comme un enfant volé toute ma vie.
    Malgré la méchanceté des gens et les rires
    Quand on trébuche et les monstrueuses raisons
    Qu'on vous oppose pour vous faire une prison
    De ce qu'on aime et de ce qu'on croit un martyre.
    Malgré les jours maudits qui sont des puits sans fond
    Malgré ces nuits sans fin à regarder la haine
    Malgré les ennemis les compagnons de chaînes
    Mon Dieu mon Dieu qui ne savent pas ce qu'ils font.
    Malgré l'âge et lorsque, soudain le cœur vous flanche
    L'entourage prêt à tout croire à donner tort
    Indifférent à cette chose qui vous mord
    Simple histoire de prendre sur vous sa revanche.
    La cruauté générale et les saloperies
    Qu'on vous jette on ne sait trop qui faisant école
    Malgré ce qu'on a pensé souffert les idées folles
    Sans pouvoir soulager d'une injure ou d'un cri.
    Cet enfer Malgré tout cauchemars et blessures
    Les séparations les deuils les camouflets
    Et tout ce qu'on voulait pourtant ce qu'on voulait
    De toute sa croyance imbécile à l'azur.
    Malgré tout je vous dis que cette vie fut telle
    Qu'à qui voudra m'entendre à qui je parle ici
    N'ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci
    Je dirai malgré tout que cette vie fut belle.

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  • Je t’aime (Paul Eluard)
    Feb 18 2025

    Je t’aime pour toutes les femmes
    Que je n’ai pas connues
    Je t’aime pour tout le temps
    Où je n’ai pas vécu
    Pour l’odeur du grand large
    Et l’odeur du pain chaud
    Pour la neige qui fond
    Pour les premières fleurs
    Pour les animaux purs
    Que l’homme n’effraie pas
    Je t’aime pour aimer
    Je t’aime pour toutes les femmes
    Que je n’aime pas

    Qui me reflète sinon toi-même
    Je me vois si peu
    Sans toi je ne vois rien
    Qu’une étendue déserte
    Entre autrefois et aujourd’hui
    Il y a eu toutes ces morts
    Que j’ai franchies
    Sur de la paille
    Je n’ai pas pu percer
    Le mur de mon miroir
    Il m’a fallu apprendre
    Mot par mot la vie
    Comme on oublie

    Je t’aime pour ta sagesse
    Qui n’est pas la mienne
    Pour la santé je t’aime
    Contre tout ce qui n’est qu’illusion
    Pour ce cœur immortel
    Que je ne détiens pas
    Que tu crois être le doute
    Et tu n’es que raison
    Tu es le grand soleil
    Qui me monte à la tête
    Quand je suis sûr de moi
    Quand je suis sûr de moi

    Tu es le grand soleil
    Qui me monte à la tête
    Quand je suis sûr de moi
    Quand je suis sûr de moi

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  • À Vénus (Joachim du Bellay)
    Jan 28 2025

    Ayant après long désir

    Pris de ma douce ennemie
    Quelques arrhes du plaisir,
    Que sa rigueur me dénie,
    Je t’offre ces beaux oeillets,
    Vénus, je t’offre ces roses,
    Dont les boutons vermeillets
    Imitent les lèvres closes
    Que j’ai baisé par trois fois,
    Marchant tout beau dessous l’ombre
    De ce buisson que tu vois
    Et n’ai su passer ce nombre,
    Parce que la mère était
    Auprès de là, ce me semble,
    Laquelle, nous aguettait
    De peur encores j’en tremble.
    Or’ je te donne des fleurs
    Mais si tu fais ma rebelle
    Autant piteuse à mes pleurs,
    Comme à mes yeux elle est belle,
    Un myrthe je dédierai
    Dessus les rives de Loire,
    Et sur l’écorce écrirai
    Ces quatre vers à ta gloire
    « Thénot sur ce bord ici,
    A Vénus sacre et ordonne
    Ce myrthe et lui donne aussi
    Ses troupeaux et sa personne. »

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